Sans qu’il l’ait demandé, les habitants du village perdu dans les immensités de la Pampa, étaient venus prier le Padre Diego Del Fonso de prendre la tête de leur colonne, bien décidés à fuir une région où dictateur et milices faisaient régner terreur et mort. Bien qu’il n’ait rien d’un meneur, porté par les paroles du Christ, il avait néanmoins accepté.

Un matin, la troupe composée d’environ deux cents âmes s’était donc ébranlée et tous avaient quitté, non sans tristesse, cette terre où leurs aïeux avaient vécu si longtemps. Solidaires et déterminés, hommes, femmes, enfants, baluchon à l’épaule, voulaient croire en un avenir meilleur, tous rangés derrière le bâton de pèlerin du curé. Ils avaient ainsi marché des jours, des semaines, des mois, sous la pluie, le vent, la neige, de jour comme de nuit, hiver comme été, ne trouvant jamais l’endroit de leur rêve jusqu’à ce jour mémorable où, longeant une côte inconnue, ils virent non loin une île déserte. De suite, ils surent qu’ils étaient arrivés au bout de leur périple…

*      *      *      *

Voilà des années maintenant qu’ils étaient installés là quand un enfant vint frapper à la porte du Père Diego. Une femme, racontait-il, uniquement recouverte, de la tête au pied, d’une blanche étole transparente venait tout juste de débarquer sur la plage, son esquif porté là par le vent. Mutique, elle s’était allongée sur le sable et attendait. Les villageois ne sachant que faire, intrigués par la beauté de cette Fille-des-Flots — comme ils l’avaient d’emblée nommée — souhaitaient que le prêtre vienne la voir pour tenter de lui parler et savoir d’où elle venait et ce qu’elle voulait.

Arrivé sur place, le Père Diego avait immédiatement compris que l’attroupement autour d’elle l’angoissait et qu’elle se tairait tant qu’elle se sentirait observée et cernée. Il invita donc ses ouailles à retourner à leurs occupations et s’installa à ses côtés. Ce fut ainsi que commença leur étrange histoire. Chaque soir, elle remontait dans son embarcation ; chaque matin, elle revenait ; chaque matin, elle s’allongeait sur la plage ; chaque matin, il lui tenait compagnie, étourdi par les fragrances musquées de son parfum, attendant avec patience qu’elle engage la conversation. Ce rituel et ce silence durèrent des semaines jusqu’à ce midi où elle lui murmura :

-/ Vous êtes bien le Padre Diego Del Fonso ?

-/ Oui ! répondit-il, décontenancé par ses dons de voyance.

À partir de ce jour, ils ne cessèrent de converser des journées entières, portés par la force d’un sentiment nouveau qui fascinait et effrayait le Père Diego. Que se disaient-ils ? Que se confiaient-ils ? Que s’avouaient-ils ? Nul ne le sut jamais quand bien même ils parlaient, parlaient et parlaient, sans jamais se lasser de la mélodie des mots qui s’échappaient de leur bouche, sans jamais se lasser des images et des pensées que véhiculaient leurs propos. Cette spirituelle communion, pleine d’ivresses, dura des mois…

Jusqu’à ce début de soirée d’été où, sûre que leur complicité avait fait place à l’amour dans le cœur du curé, elle pria le Père Diego de lui faire visiter sa maison. Composée de deux pièces exiguës, la première meublée d’une table et de quatre chaises pour recevoir ses paroissiens, la seconde d’une simple lit placé face à la porte, sa cabane était si peu confortable que la demande le surprit. Cependant, incapable de s’opposer à la volonté de la jeune femme, il obtempéra. Elle lui prit alors la main — la première fois depuis qu’ils se connaissaient — et, ensemble, ils s’y rendirent. Avec son étole blanche qui recouvrait toute sa personne, retenue sur sa tête par une couronne de fleurs pour qu’elle ne soit pas emportée par le vent, elle ressemblait à une mariée dont il devinait les formes sculpturales sous le tissu.

Parvenus sur le seuil de la bâtisse, elle se tourna vers lui et lui murmura à l’oreille :

-/ Padre, je vais y aller seule. Restez là quelques instants puis rejoignez-moi ! Je vous ferai don d’un présent et accomplirai ainsi mon destin.

Sa phrase à peine achevée, elle tourna la poignée de la porte et disparut.

Abasourdi, le Père Diego ne savait que penser ou plutôt n’osait trop penser. Cinq minutes s’écoulèrent avant qu’il ne se décide à entrer. La pièce était vide, la couronne de fleurs jetée par terre, l’étole de gaze qui la cachait, posée sur la table.

Dans la chambre, elle ne pouvait qu’être nue.

Le cœur battant, il traversa la pièce pour rejoindre sa « cellule » et entra.

Face à lui, elle se dressait sur le lit. Ses deux fesses bien calées sur le rebord du matelas, ses deux bras en arrière, mains bien ancrés dans les draps pour soutenir une poitrine et un visage dévoilés avec hardiesse, elle se tenait droite, parfaitement immobile, dans l’attente et dos cambré, ses deux jambes repliées et bien écartées, ses pieds en appui sur la boiserie du lit. exhibant avec une impudique candeur son pubis et son sexe…

Ébloui par sa juvénile beauté, le Père Diego avançait, hypnotisé par ce corps parfait qui s’offrait à lui. Enfin à sa hauteur, il s’agenouilla, ses yeux, son nez, sa bouche, tout contre ses roses lèvres. Avec passion, il les embrassa longtemps, longtemps, longtemps, avant que, l’ivresse à son paroxysme, ils s’unissent l’un à l’autre dans d’ardentes étreintes…

À l’aube, quand il se réveilla, elle était partie, ne laissant comme preuves de son passage que la gaze et la couronne. Ainsi, ne pourrait-il jamais se convaincre qu’il n’avait fait que rêver.

Plus jamais, on ne la revit sur l’île. Ne restait plus au Père Diego qu’à tenter de vivre avec, en lui, cette obsédante chimère, envahi certes par le sentiment de la faute mais, d’avoir eu le privilège de connaître l’amour, nullement assailli de regrets ou de remords. Bien au contraire !

Philippe Parrot

448 - Se pourrait-il que 1 1

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Poème écrit par Philippe Parrot

Entre le 9 et le 11 septembre 2020

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